Mon retour à Rouyn-Noranda est un peu comme la boucle de qui se referme.
Il y a maintenant 6 ans exactement, j’étais venu en stage de médecine de famille durant quatre mois. Résidant temporaire, j’ai toujours ressenti qu’il y avait un petit peu de Rouyn en moi.
À ce moment, j’avais décidé de ne pas faire mes entrevues pour la spécialisation en médecine d’urgence. Ça s’était décidé su’une gosse, après avoir apprécié ici ce qu’était un vrai médecin de famille. Ils étaient de vrais généralistes, des gens qui font du bureau, de la médecine hospitalière et de l’urgence. Plusieurs étaient des modèles pour moi, et je voulais être comme eux.
Fast forward et me voilà cette année à passer l’examen d’urgence et qui retourne à Rouyn-Noranda pour faire du dépannage en urgence. J’ai l’impression que je recommence là où j’ai laissé il y a 6 ans.
Les « blancs »
La plus grande adaptation est de traiter des « blancs ». Les gens parlent, ont des questions, sont inquiets et ils veulent des explications. Des fois je trouve que c’est abusif, qu’ils s’inquiètent pour rien et il me semble que je leur ai déjà assez parlé, non? « Vous êtes encore inquiets? » Sérieusement!
L’adaptation est faite et maintenant je suis rendu pas mal bon avec les grands-mères, et expliquer que leur toux qui dure depuis 10 jours, et bien c’est rien, et que ça va passer, et non, vous ne faites pas de fièvre, votre saturation d’oxygène est super bon dans votre sang, alors non, on ne fera pas de radiographie.
Je suis assez nostalgique des entrevues avec les autochtones où l’on communique sans vraiment parler, où tout le monde semble se comprendre et le plus gros de la conversation se passe à négocier si on peut envoyer une escorte avec le patient (lire ici un accompagnateur et traducteur pour accompagner le patient lors de son transfert dans la grande ville).
Les mines
À Chisasibi on parle des outardes. À Sioux Lookout on parle du doré. À Rouyn on parle des mines.
Il faut vraiment comprendre le stéréotype du mineur. Ce n’est pas moi qui le dis, c’est comme ça que les gens de la place les décrivent.
Le mineur type est un homme avec un secondaire5 qui va sous la terre pour faire un travail physique et claustrophobique. En échange, il peut gagner des gros sous et avoir un salaire parfois dans les six chiffres. La business est bonne. S’en suit le ski-doo, le pick-up, le bateau, le quatre roues, la maison et le chalet. Les gens ont un train de vie impressionnant, et doivent travailler fort pour le maintenir.
Ça fait alors un drôle de mélange, où les gens se prennent eux-mêmes dans un cercle vicieux. Les gens dépensent surtout dans des engins qui brûlent de l’essence. Plus tard on les voit à l’urgence pour des entorses, des fractures, et toute sorte de complications après avoir fait des folies avec leur engin motorisé. Quand je les arrête de travailler pour récupérer, j’ai souvent l’impression de leur annoncer la pire nouvelle au monde.
Car ile ne peuvent pas se permettre d’arrêter de travailler. Les gens travaillent, ont du succès et des grosses jobs, je suis vraiment content pour eux. Mais ils dépensent beaucoup. Ils tiennent à leur travail, car s’ils se font mettre dehors, ils seront bien accotés dans’ barrure financière. C’est une dynamique vicieuse.
Je me rappelle d’un gars qui m’a raconté son histoire. Il avait tout déchiré son épaule et s’était cassé un os dans le bras après un accident. Il a eu besoin d’un plâtre et l’orthopédiste lui a dit qu’il allait avoir de la difficulté à bouger son épaule dans le futur, qu’il aurait une grande incapacité. Le lendemain, il a coupé lui-même son plâtre, a installé des poulies dans son cadre de porte et a commencé à faire des exercices. Quand il a revu l’orthopédiste plusieurs mois après, le spécialiste n’en croyait pas ses yeux. Son triceps avait développé de nouvelles attaches et compensait pour les muscles de son épaule détruits. Il était bien fier de me raconter ça. Ça c’est de la volonté mon chum.
D’un côté, je suis content pour eux car ils sont tough. Ils ne cessent pas de travailler juste pour une petite blessure. De l’autre, c’est un peu triste que les gens doivent compromettre leur santé, car ils ne peuvent pas se permettre d’arrêter travailler à cause de leur train de vie.
Un peu comme mon père qui me disait qu’il ne pouvait pas tomber malade, car sa business allait s’écrouler. Mal de dos? On l’endure. L’humeur baisse de manière saisonnière? On continue à se lever tôt et trimer.
Déprivation de sommeil, exposition constante aux irradiations lors de mes voyages en avion pour le travail et sourd aux signaux de mon corps, qui suis-je pour parler de toute façon?
Ouain, ouain, je commence à les aimer les mineurs de Rouyn.
