Direction Sud
Avec la maîtrise, avant, j’avais l’impression que mon mémoire était une brique qu’on allait installer sur le mur de l’Apprentissage. Comprendre comment le statut socioéconomique affecte la prise en charge des patients avec plusieurs maladies chroniques. Des phénomènes complexes, d’actualités, auxquels j’allais trouver la solution. J’allais changer le monde.
Le momentum a été cassé l’an passé… Là, la maîtrise branle dans le manche. La pile de papier est sur le coin du bureau depuis un an. Tout est au point mort. Et la motivation peine à revenir. Pauvres directeurs de maîtrise. Ils doivent se demander si je suis encore vivant.
Aussi, depuis quelques mois, je me retire tranquillement du Nord. J’essaye d’être plus proche de la Maison. De ma copine, de ma famille, de mes nièces, de mes amis. Tous ceux que j’aime. S’éloigner du Nord veut aussi dire s’éloigner des populations autochtones dans le besoin. Ils gagnent à se faire connaître, le début avec eux est toujours lent, mais une fois que la confiance est construite, ils s’ouvrent et c’est là que c’est tout le plaisir avec eux commence. Quitter une communauté est toujours comme laisser une partie de soi derrière. C’est deux cuillères de culpabilité et de regrets, brassés avec un tiers de tasse de nouvelles ambitions personnelles.
L’escalade
Il y a un mois, Mik m’a montré à installer des protections en escalade traditionnelle. Ce fut une petite révélation. Pour ceux qui ne connaissent pas l’escalade traditionnelle, il faut installer soi-même ses protections, c’est-à-dire toutes sortes de cossins et bagosses sur la paroi. Dans l’éventualité d’une chute, c’est ça qui nous retient. On devient des menuisiers de la paroi verticale.
Cet apprentissage est vraiment un point marquant. C’est la transition entre grimper dans un monde limité où les gens ont installés des protections vissées dans le rocher, à un monde où l’on peut grimper ce que l’on veut. Les seuls facteurs limitants étant les protections possibles et notre limite mentale. Ça devient un sport créatif, où il faut improviser avec ce que l’on a. Un peu comme pratiquer dans le Nord.
Difficile à croire que j’en suis rendu là. Il y a à peine deux ans, je m’étais mis à l’escalade quand Julia l’avait proposé pour nos dates. J’avais peur d’aller trente pieds dans les airs. Je tenais la corde quand je descendais en moulinette. Deux ans plus tard, j’en suis rendu à installer mes protections. J’ai hâte de voir où je serai rendu dans deux ans.
Avec le temps, l’escalade a tranquillement envahi ma vie. Apprendre à faire des noeuds, des ancrages, installer des protections en trad, les vis à glace, marcher sur glacier, freinage en cas de glissade, lire le terrain, etc. La liste des techniques est très longue.
Ça s’apprend en partie sur YouTube, mais ça s’apprend vraiment sur le terrain avec du monde comme Mickael Francoeur et Gabriel Filippi. Une communication maître-élève simple : «C’est bon », «Ça tient». Un langage rempli de hochements de tête, de contacts visuels et de thumbs up. C’est primitif et efficace. Le tout couronné par beaucoup de mantras intérieurs : « J’ai pas peur», «J’tomberai pas», «Ça va tenir».
Conquistador
Lionel Terray avait dit que l’escalade, c’est conquérir l’inutilité. En d’autres termes, grimper, ça ne sert pas à grand-chose. Avant, on le faisait peut-être pour la Reine d’Angleterre ou pour cartographier des régions. Maintenant, on le fait pour soi. Quelqu’un m’avait dit que lorsqu’on arrive en haut, il n’y a personne pour applaudir, personne pour nous accueillir. On est seul au sommet. On l’a fait pour soi, pour ses propres raisons.
Tout ça marque la transition d’une vie antérieure remplie de sens et d’altruisme, à une vie centrée sur soi, remplie d’obsessions pour la montagne et l’aventure.
Je vis une vie post-moderne, éloignée des obligations classiques du médecin, très loin de ce où Barrette voudrait me voir. Une vie que les gens ont décrite par «Est-ce que tu travailles des fois? » C’est le retour au statut de médecin dépanneur, celui qui rode un peu partout et qui m’offre la liberté espérée. Un mercenaire médical.
J’hésite encore à décrire l’état dans lequel je suis. Cynique? Zen? Le ministre de la Santé Gaétan Barrette a donné tout un coup aux médecins de famille avec ces politiques. Le plus grand effet est que les médecins sont entrés en remise en question sur leurs priorités, l’importance de la famille, du travail et la vie que nous voulons vivre.
Pour moi, cette réflexion s’est amorcée dès le début et s’est mélangée avec différentes réalisations stéréotypées sur le sens de la vie que j’ai appris au Népal. Un second départ qui recherche différents types d’exploration : professionnelle, géographique et sportive.
Je m’y plais bien, à être un conquistador de l’inutilité.
