Le voyage est terminé. C’est le retour à la maison. J’ai eu droit à un filet mignon avec beurre composé, accompagné de frites aux patates douces et mayo-Sriracha. Miam. Des protéines.
Après trois mois dans les montagnes, la vie sera douce à Montréal.
Une fois que j’ai réalisé que cette expérience était plus à propos de l’expérience humaine que de la médecine, la pilule a été plus facile à avaler. Il y a eu un moment où le temps était long là-bas. Les cas se ressemblaient, c’était surtout des petits bobos. Je m’attendais à plus d’action et surtout plus de cas sévères liés à l’altitude.
Néanmoins, j’ai pu me faire les dents en masse sur les pathologies en lien avec l’altitude et j’ai maintenant une solide expérience en la matière.
Je réalise que les dernières semaines ont été plus difficiles, car j’avais accompli ma mission médicale. Le temps était long car je rencontrais beaucoup de gens intéressants qui commençaient à me donner la bougeotte. Une belle brochette : des gens qui voyagent en famille, l’universitaire qui prend ces trois semaines de vacances pour le trek, une autre qui est bénévole dans une NGO qui lutte contre le trafic humain, des anciens militaires israéliens qui voyagent ensemble, une autre qui expérimente des drogues à Thamel, d’autres qui bumment d’un pays à l’autre depuis des années ou des mois. Bref, il n’y a pas de trekkeur type ici.
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Avec des millions de kilomètres d’avance, le plus passionnant ici fut la rencontre des Israéliens.
Je ne sais pas pour vous, mais la seule chose que j’ai en tête quand je pense à Israël et bien c’est Jérusalem, les bulldozers qui écrasent Gaza, et la scène du début du film Snatch (la scène réfère plus aux juifs orthodoxes, mais bon).
Voici une idée générale de ce qui se passe avec les Israéliens au Népal. Le tout commence à la maison avec le service militaire obligatoire: deux ans pour les filles et trois ans pour les garçons. Une fois le service terminé, ils sont âgés d’environ 20-22 ans. La majorité travaille quelques mois pour accumuler de l’argent pour partir en voyage. Ils savent qu’après ce voyage, ce sera le retour aux études, à la vraie vie. Le retour à une vie qu’on m’a décrite comme étant rigide. Alors, durant les mois de vacances, ils en profitent à fond. Se « défoncer » serait le meilleur qualificatif.
Donc, le voyage. Il existe un même un terme en hébreux dans la société israélienne qui se traduit par « voyage postservice militaire ». Ce voyage fait partie d’Israël. Les destinations choisies se résument à : un endroit où ils sont acceptés et où ce n’est pas cher. C’est donc l’Amérique du Sud, l’Asie du Sud-est, l’Inde et le Népal.
Le circuit des Annapurna est parfait pour eux. Pas cher, pas besoin de grande préparation physique ou logistique, et il y a en masse de champs qui font pousser de la marijuana sur le chemin. Un drive-through de la marijuana. C’est parfait pour eux.
Il serait mentir dire que la relation entre les Israéliens et les Népalais est paisible et heureuse. Négociations serrées, invasion des lieux en groupe, batailles. On a tout vu et entendu ici. Selon les propriétaires d’auberges, les tensions ont baissé récemment. Maintenant c’est une relation pragmatique et minimale. Du business seulement.
Mettons ça au clair, je n’ai personnellement aucun problème avec eux. J’ai plutôt une fascination.
Le Népal, ou leur voyage postservice est selon moi un long chemin de rédemption. Un nettoyage mental et spirituel. Une chance d’échapper à la rigidité militaire et à la vie qui les attend au retour. On peut les comprendre, leur pays est constamment en tension. Risque d’attaque terroriste, d’attaque à la roquette, d’attaques au couteau. Il suffit d’une flammèche pour que la région prenne en feu.
Quand je voyais des patients israéliens, j’avais toujours une curiosité à savoir ce qu’ils faisaient durant leur service. On découvre que certains opéraient de l’artillerie lourde, d’autres des lances-roquettes. Une était dans une base secrète et opérait le stratégique Iron Dome. Un patient que j’ai transféré était un ancien commando et il avait même participé à la dernière invasion de Gaza. Un autre qui restait vague par rapport à son service, mais qui planifiait maintenant aller travailler pour la sécurité à Tijuana, Mexique à cause de ces « qualifications spéciales ». Il n’avait pas le genre de gars que j’avais le goût de trop niaiser avec.
Lors du Pass over à Manang j’ai eu la chance de m’assoir avec des jeunes israéliens et discuté de leur service durant la soirée. On a abordé le syndrome post-traumatique. Pour un, peu de gens souffraient de cette condition. Son explication est que pour les Israéliens, le service militaire une partie intégrale de leur identité. Ils s’attendent à se battre et à défendre leur pays. Donc à ces yeux, le stress post-traumatique n’existe pas vraiment! Il y a 3 millions de militaires, un demi-million de réservistes sur une population de 20 millions. Ils sont prêts à se mobiliser pour défendre leur pays.
On m’a dit que c’est quelque chose que je ne peux pas comprendre, car mon pays n’est pas en guerre, personne ne subit d’attaques au couteau dans les rues. Je ne peux pas comprendre, car je n’ai jamais perdu d’amis dans une attaque terroriste.
Bien des choses que je ne peux pas comprendre, c’est vrai. Mais bien des choses sur lesquelles nous pouvons quand même avoir une opinion.
Je trouve ça amusant d’aller au Népal et ressortir avec une curiosité sur Israël. J’ai maintenant le goût d’aller à Jérusalem, m’assoir avec eux dans un café et comprendre leurs quotidiens. Aller à Goa en Inde pour voir si c’est vrai qu’il y a plein de jeunes en psychose toxique après avoir expérimenté des drogues lors de leurs voyages. Essayer de me convaincre que les gens ne cherchent pas la rédemption en Asie et qu’il n’y a pas de syndrome de stress post-traumatique…
Pour terminer, durant mon voyage j’ai acheté un livre sur l’histoire d’Israël, un livre que je recommande, My promised land de Ari Shavit. C’est un journaliste israélien de gauche, que certains accusent même d’être anti-Israël. Il aime son pays, mais apporte quand même une perspective qui se rapproche de la réalité non partisane. Pour une meilleure compréhension de la problématique régionale, c’est un livre à lire.
On se voit à Montréal.
